CPE : oui et non !

Publié le par Olivier CAMPS-VAQUER

A un an de la grande échéance présidentielle, un débat enflammé anime l'opinion publique autour de la question du Contrat Première Embauche (CPE). Débat passionné sur fond de chômage durable persistant, de croissance très molle et d'incertitude sur l'avenir.
 
Avant d'aborder le fond, quelques mots sur la forme. Je trouve toujours un peu choquant que des gens défilent dans la rue, non pas seulement pour exprimer un point-de-vue (ce qui est parfaitement respectable !), mais pour tenter d'imposer leurs vues par la force à la représentation nationale issue démocratiquement des urnes. Il est tout-de-même étrange que certains croient devoir éduquer les jeunes à l'idée que les organes représentatifs ne servent à rien puisque leurs décisions et réformes sont subordonnées à la pression de la rue. Comme s'il était normal que la force l'emporte sur le droit. Les jeunes qui défilent dans la rue devraient aussi réfléchir sur ce point. 
 
Sur le fond, la question n'est pas de savoir si le CPE correspond à un idéal de contrat, mais plutôt de savoir si le CPE est un outil permettant d'améliorer la situation actuelle de l'emploi en France. Et pour cela, je vous propose d'examiner successivement la situation de l'emploi des jeunes, puis de l'emploi en général.
 
1°) A mon sens, le CPE est une tentative de réponse au problème du chômage persistant et croissant des jeunes.
a) Avant de représenter une ressource, les jeunes, par hypothèse sans expérience professionnelle, représentent à la fois un coût et un risque pour les entreprises qui les recrutent. Avant qu'un jeune devienne un bon professionnel, il s'écoulera plusieurs mois pendant lesquels son employeur "investira" pour sa formation. C'est dire que pendant plusieurs mois, le jeune coûtera plus qu'il rapportera à son employeur, ce qui peut constituer un frein à son embauche.
b) Il est capital que le chômage des jeunes (qui, rappelons-le, atteint un niveau record en France !) baisse. Il est très important pour un jeune de pouvoir accéder au marché du travail.
c) Le dispositif du CPE est de nature à lever les 2 freins connus à l'embauche :
- la trop grande rigidité du marché du travail : en permettant à l'employeur de se désengager plus facilement de son investissement en formation s'il estime avoir commis une erreur de recrutement ;
- le coût trop élevé du travail (salaires + charges)pour des personnels par hypothèse sans qualification : en éxonérant l'employeur de charges patronales.
d) Une fois qu'il aura mis le pied à l'étrier, le jeune pourra valoriser son expérience soit au sein de la même entreprise, soit sur le marché du travail. Il sera tiré d'affaire et c'est bien là l'essentiel. Pardonnez-moi, mais le plus important pour le jeune est de se constituer un capital humain suffisant pour pouvoir vivre d'autre chose que d'allocations chômage. Ceux qui disent que "le CPE, ce n'est pas mieux que rien mais pire que tout", n'ont sans doute jamais vécu dans leur chair ce qu'est réellement le chômage. Et d'ailleurs, quels arguments peut développer aujourd'hui un jeune au chômage devant un banquier ou un bailleur ? Il faut donc bien avoir à l'esprit que le CPE n'est conçu que comme une étape, la première étape, d'un parcours professionnel évolutif. Il faut voir le CPE comme une clé pour ouvrir une porte qui, bien souvent, restait fermée. En ce sens, c'est, je le pense, un progrès pour les jeunes.

2°) Ceci étant dit, j'apporte au propos précédent un bémol de taille : le CPE ne créera sans doute pas d'emplois nouveaux. Tout le drame est là ! Seule la croissance (Je dirais même l'hypercroissance !) peut permettre de créer des richesses et donc des emplois. Et, par ailleurs, il n'est pas sain d'habituer l'opinion à l'idée qu'un employeur puisse "jeter" un salarié, quel qu'il soit, sans justification. Il est donc bien clair que si le CPE peut être une réponse au chômage spécifique des jeunes, il n'est certainement pas une réponse au problème du chômage en général. Autrement dit, le CPE ne fait que déplacer le problème. On remplace certains chômeurs (en l'occurence des jeunes) par d'autres chômeurs plus âgés. C'est intéressant pour les jeunes pour qui l'on crée une sorte de passe-droit, de coupe-file, mais ce n'est franchement pas très brillant pour les autres. On pourrait presque dire que l'on crée un privilège pour l'emploi des jeunes en sacrifiant toutes les autres générations. Et bien entendu, comme l'Etat paiera généreusement les charges sociales faisant l'objet des éxonérations, il se financera par des prélèvements sur l'économie. On continue donc cette politique de gribouille consistant à "créer" (soi-disant !) spectaculairement des emplois à grands coups de subventions et à financer ces pseudo-créations d'emplois de façon discrète et diffuse par des prélèvements (fiscaux !) destructeurs d'emplois. Une sorte de jeu de vases communicants qui coûte un argent fou, empêche la croissance et dont le bilan en termes d'emplois est désespérément nul !

En conclusion, ma réponse sur le CPE est donc "oui et non !" :
- Oui car la précarité d'un CPE n'est rien, absolument rien à côté de la précarité à laquelle expose le chômage. Les jeunes ont bien tort de repousser la main tendue du Gouvernement, même si l'on peut comprendre leur inquiétude devant l'avenir. Le monde moderne est un monde où tout change très vite. La génération du "zapping" le sait mieux que quiconque !
- Non car, une fois de plus, on passe à côté des réformes de fond nécessaires pour renouer durablement avec une croissance forte, seule génératrice d'emplois nouveaux et durables. Ce n'est pas en déplaçant le chômage qu'on le fera diminuer.
- La France ne pourra pas éternellement se contenter de poser des rustines et passer à côté des réformes d'envergure que la situation économique et sociale catastrophique de notre pays exige.
 
Olivier CAMPS-VAQUER

Publié dans Politique nationale

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Effectivement, nous avons une divergence. Mais la solution ne passe-t-elle pas toujours par la négociation entre partenaires qui se respectent? Nous en sommes loin dans bien des domaines!  Les élus sont des représentants pleinement légitimes lorsqu'ils  annoncent ce qu'il vont faire préalablement à leur élection et le réalisent durant leur mandat. Sauf erreur le CPE et le CNE, ne faisaient pas partie des propositions explicites de la majorité gouvernementale. Aussi, il paraît démocratique de s'attendre à une consultation préalable des représentants qualifiés en la matière, s'agissant d'une important remise en cause du droit social. Le respect le plus élémentaire de la représentation nationale aurait été de ne pas avoir recours au vote bloqué!Plus largement, je crois à la nécessité accrue de renforcer la représentativité syndicale et sociale face à la montée des précarités. Un nouveau contrat social équilibré est à négocier. Il passe par la reconnaissance des représentants syndicaux et sociaux en tant que partenaires quotidien du capital humain. Ne sont-ils pas dans les faits des avocats auto-désignés d'office? A cet titre, je trouverais positifs que chaque actif désigne sa représentation sociale chargée de le défendre et lui verse une cotisation obligatoire en compensation de ce travail. Pour éviter les dérives, un contrôle de gestion de cette représentation par un organisme indépendant serait bien entendu indispensable. Mais la question de la représentativité et de l'activité socio-syndicale pourrait être dépassée. C'est aussi faire dans la caricature que de croire que tous les syndicalistes ne songent qu'à leurs privilèges, sans se soucier du devenir de l'emploi des salariés qu'ils représentent. Les décideurs favorisent rarement une logique de négociation entre des partenaires dont les forces sont rééquilibrées.Une autre France est possible. Son économie n'est pas entièrement délocalisable. Dans un monde dont les frontières économiques sont de plus en plus perméables, il faut investir dans la créativité, la recherche, la haute qualité, la forte valeur ajoutée... Il faut faire ce que la France sait le mieux faire depuis des années et reconnaître que dans certains domaines, d'autres font mieux que nous. Investissons (nous) davantage à l'étranger: les principales entreprises du CAC 40 le font. Préparons notre jeunesse à voyager, à travailler dans le monde pour y maintenir la présence française!L'immobilisme qui perdure chez tous les décideurs et qui se désintéresse de la croissance, fait financer les déficits du budget de l'Etat par les générations futures: que de mépris accumulés pour la jeunesse!
Répondre
J
J'estime que la représentation nationale inclut l'ensemble des partenaires sociaux, patronat et syndicat. Reconnaîssons qu'en la matière, le gouvernement est parti sabre au clair, sans les consulter et en limitant les débats à l'Assemblée Nationale par le vote bloqué. Qui est à l'initiative de l'épreuve de force? Même le MEDEF a exprimé des réserves sur cette mesure! Les blocages sociaux que tu déplores ne peuvent pas se résoudre par le jeux classique des affrontements où chaque protagoniste y retrouve son compte: le gouvernement paraît à l'offensive et l'opposition se refait une virginité à bon compte... Seul un dialogue social approfondi et rénové, comme il en existe en Allemagne ou au Danemark, permettra de relever les défis d'une économie mondialisée en constante mutation.Autant dire que l'institution d'un contrat précaire de 2 ans (CNE ou CPE) n'est certainement pas en mesure de promouvoir le renforcement de la représentativité syndicalement nécessaire au renouveau du dialogue social.Pour promouvoir l'emploi, c'est la croissance qu'il faut promouvoir. Il faut investir dans les technologies d'avenir, dans la recherche, dans l'apprentissage. Je suis d'accord avec toi: pourquoi instituer une mesure qui ne va pas créer d'emploi? Pour institutionnaliser la précarité? Crisper les rapport sociaux? Présidentialiser le 1er ministre? Renforcer le fatalisme?
Répondre
O
Nous sommes d'accord sur plusieurs points : caractère impératif d'une politique de croissance pour promouvoir l'emploi, utilité de l'existence du dialogue social. En revanche, subsistent quelques points de désaccord :<br /> - Non, je ne suis pas d'accord : la représentation nationale n'inclut pas les partenaires sociaux. Seul le suffrage universel fonde la légitimité de la représentation nationale. Les syndicats sont des partenaires importants et même incontournables mais ils ne sont pas investis du pouvoir de décider à la place des organes constitués et démocratiquement élus.<br /> - Les syndicats disposent de pouvoirs importants, notamment dans les secteurs public et para-public. L'importance de leurs pouvoirs est inversement proportionnelle à leur faible représentativité. Cela ne leur donne pas le droit, selon moi, de bloquer le pays et d'empêcher les réformes voulues par la Majorité. Il y a une logique antidémocratique très inquiétante dans l'emploi abusif de la force contre le droit. <br /> - Même si je pense que le dialogue social est nécessaire, je ne crois pas que celui-ci sera fécond en réformes d'envergure. Les syndicats vivent précisément de ce qu'il faudrait réformer : Sécurité sociale, périmètre et fonctionnement du secteur public, etc. Ce sont les premiers agents conservateurs du système actuel. Ils sont donc les premiers à résister à toute tentative de changement. On ne connaît que trop la dialectique habituelle sur le mythe des "droits acquis", la nostalgie des "luttes passées" et la prétendue "défense du service public" pour fonder l'immobilisme absolu. Et c'est la raison pour laquelle toutes les tentatives de réformes passées à la toise du dialogue social depuis 30 ans ont échoué. <br /> - Il est désolant que la jeunesse soit embrigadée dans des combats d'arrière-garde avec des méthodes d'un archaïsme déroutant. On ne peut pas toujours vivre avec un rétroviseur sous les yeux. Le vrai combat à mener aujourd'hui, c'est celui de la croissance. Il n'y a aucune raison que notre pays n'y parvienne pas. Mais il faut pour cela faire sauter bien des verrous !<br /> Olivier CAMPS-VAQUER