Le patriotisme économique : une véritable régression !...

Publié le par Olivier CAMPS-VAQUER

Parcourant le dernier numéro de "Colombes Notre Ville" (n° 54 - Novembre 2006), je tombe sur la tribune libre du groupe "UMP et apparentés" intitulée "Le parti socialiste contre l'emploi" (page 33). Suit un violent réquisitoire contre la décision du Conseil Régional d'Ile de France d'acheter les nouveaux matériels roulants de la SNCF au groupe canadien Bombardier et non au groupe français Alsthom. Après avoir dénoncé "une vision égoïste et à court terme", l'auteur de ladite tribune nous prédit que "les conséquences seront terribles et vont se chiffrer en milliers de licenciements qui coûteront autrement plus chers à l'Etat, donc aux contribuables français, sans compter les conséquences morales et psychologiques infligées aux personnels des usines Alsthom." Bref, l'Apocalypse !... "C'est proprement immoral et absurde". Rien de moins ! Et la conclusion est sans appel : "L'équipe municipale s'offusque de ce cynisme et revendique pour les décisions politiques majeures en terme économique, le recours systématique au patriotisme économique, surtout quand il apporte des progrès technologiques majeurs." Vous avez bien lu : "le recours systématique au patriotisme économique..."

Je sais bien que les campagnes électorales qui s'ouvrent semblent autoriser toutes les outrances et tous les excès, mais, là, un pas est franchi vers le festival de la démagogie tous azimuths !  Passons sur le fait que le lien avec l'actualité directement colombienne ne saute pas immédiatement aux yeux. Passons sur la violence des termes employés. Passons aussi sur le fait que le canadien Bombardier fabrique ses produits en grande partie en France avec du personnel français. Passons également sur le fait qu'en l'espèce, Bombardier et Alsthom ont fini par trouver un accord et encore qu'Alsthom a su "rafler" quelques gros marchés en Chine. Passons enfin sur l'énorme biais ainsi apporté aux procédures d'appels d'offres. Passons sur tous ces points et attardons-nous un instant sur la seule question qui vaille : pourquoi les politiques, notamment à droite et en particulier à l'UMP, plaident-ils avec de plus en plus d'insistance et de constance pour un retour au protectionnisme ?

Le Premier Ministre, Dominique de Villepin, avait déjà, il y a quelques mois, érigé en principe cette notion de "patriotisme économique", sorte de préférence nationale à l'échelle économique. Le Projet Législatif de l'UMP contient plusieurs relents de protectionnisme à travers de nombreuses propositions visant en réalité à entraver nos échanges économiques avec l'extérieur. Et voici que le Président du groupe UMP au Conseil Municipal de Colombes s'y met aussi ! Voilà qu'on nous ressort le fameux "achetez français" au nom du patriotisme ! Vive le protectionnisme, vive la préférence nationale, fermons les frontières ! Et les promoteurs de cette idée lumineuse cherchent à faire croire au bon peuple qu'en agissant ainsi, les "emplois seront sauvés" et le chômage refluera. Comme si le mal dont la France souffre venait nécessairement de l'étranger ! Et le pire, c'est qu'un conseiller municipal socialiste lui répond sur son blog avec une magistrale leçon d'économie de marché !

La vraie question est de se demander si le "patriotisme économique", version à la mode du bon vieux protectionnisme, est vraiment la bonne réponse au formidable défi que nous pose le puissant mouvement de mondialisation actuel. En réalité, en appliquant cette théorie du patriotisme économique, on s'engagerait de façon purement arbitraire à payer de façon récurrente des rentes de situations à des producteurs moins efficaces, pour l'unique raison qu'ils sont français. Car, si les producteurs nationaux étaient à tous coups les plus efficaces au meilleur prix, la question de la préférence nationale ne se poserait pas puisqu'elle coïnciderait avec la rationnalité économique. L'hypothèse à retenir est celle où le producteur national offre des prestations de moindre qualité pour un prix plutôt plus élevé. Dans cette hypothèse, je sais qu'un producteur étranger est meilleur et moins cher mais je ne lui achète rien parce que, par patriotisme, j'estime devoir acheter à un producteur français quoi qu'il arrive, même si je sais qu'il est moins bon et plus cher. J'accepte ainsi de sacrifier une part de mon revenu pour payer le supplément de prix qu'exige le producteur national. Mais en payant ce supplément de prix, je me prive du bénéfice d'une autre prestation ou d'un autre produit que j'aurais pu acheter. Et c'est peut-être un autre producteur national qui aurait pu me le procurer. J'ai peut-être contribué à "sauver" les emplois d'un producteur national d'un premier produit avec mon supplément de prix, mais j'ai peut-être sacrifié les emplois d'un autre producteur national d'un deuxième produit en me mettant dans l'incapacité de lui acheter quoi que ce soit puisque j'ai dépensé l'argent que j'aurais pu préférer lui consacrer. En agissant ainsi, j'aurai sacrifié un producteur plus efficace à un producteur moins efficace. Autrement dit et après tout, pourquoi les contribuables franciliens (et colombiens !) devraient-ils sacrifier une partie de leurs revenus pour garantir des rentes de situation qui mettraient leurs bénéficiaires à l'abri douillet de la concurrence étrangère !

On pourrait poursuivre à l'envi ce type de raisonnement. L'important à retenir est qu'à se fermer aux échanges, à refuser la concurrence provenant des producteurs étrangers, on se ferme au progrès et on s'appauvrit. Et rien ne serait pire pour notre pays !

L'immense économiste Milton Friedman, Prix Nobel d'Economie 1976, qui vient de décéder, disait en s'adressant aux Français "Vous n'avez pas un problème d'emploi, mais un problème de croissance !" Seule une croissance forte pourrait nous permettre de créer des emplois durables et de faire baisser durablement le chômage. Or, aujourd'hui, les trois leviers de la croissance sont : l'allégement de la fiscalité, l'assouplissement du marché du travail et l'ouverture aux échanges. Et, de fait, notre pays semble à la traîne alors que le Monde entier connaît une période de croissance exceptionnelle, alors qu'émergent de nouveaux géants comme le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine.

On peut déjà déplorer qu'aucun de nos candidats à la Présidentielle ne mette vraiment la question de la croissance au coeur de son programme. C'est pourtant bien "la" question cruciale. Les vrais patriotes, soucieux de la place et du rang de la France dans le monde, devraient bien réfléchir avant de décréter le repli frileux. Les vrais patriotes devraient dire : "Baissons massivement les impôts, donnons-nous les moyens de travailler plus et mieux et ouvrons nos frontières !" En résumé : "Donnons de l'oxygène à un pays qui en a plus que besoin pour grandir !"

Publié dans Politique nationale

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