Retrait du CPE : Et maintenant le vrai débat !

Publié le par Olivier CAMPS-VAQUER

Ainsi, le CPE a été retiré. Les émeutes devraient prendre fin et le pays rentrer dans l'ordre, au moins provisoirement...

Certes, tout n'était pas négatif dans le CPE. Celui-ci avait le mérite de mettre l'accent sur la nécessité d'une plus grande souplesse du marché du travail et de faciliter l'emploi des jeunes. 

Mais c'était aussi un mécanisme plus propre à déplacer le chômage qu'à créer véritablement de l'emploi et, de surcroît, assez difficile à mettre en oeuvre. Une loi adoptée presque par surprise, sans consultation ni véritable débat, dans un contexte politique lourd (à un an d'une échéance politique cruciale !), sans apporter de vraie réponse, de vraie perspective d'avenir à l'inquiétude légitime des publics les plus exposés à la précarité, et notamment des jeunes.

Tout compte fait, le CPE n'était jamais qu'une formule de contrat de travail parmi d'autres, une réformette maladroite qui ne méritait certainement pas tant de crispations, ni d'un côté, ni de l'autre. 

Certes, pour le Gouvernement et la Majorité, ce retrait (pardon, ce "remplacement" !) est une reculade (une capitulation, diront certains). Et alors ? Parfois, n'est-il pas plus sage de reconnaître ses erreurs plutôt que de s'obstiner à les commettre. Ne pas reculer devant un champ de mines peut se révéler suicidaire. Un repli tactique peut être la condition d'un succès futur et de plus grande ampleur que celui escompté initialement.

Dès lors, trois enseignements doivent à mon sens être tirés de la crise aigue que nous venons de vivre :

- L'exigence d'écoute devant l'exaspération légitime des jeunes ;

- L'exigence de rupture avec un modèle économique et social dépassé ;

- L'exigence de respiration du débat démocratique.

1°)  L'exigence d'écoute devant l'exaspération légitime des jeunes

L'exigence d'écoute et j'ajouterais, l'exigence de compréhension, de respect et presque d'humilité devant l'inquiétude, le désespoir et l'exaspération exprimés légitimement par les jeunes.

Le mot est revenu sans cesse pendant toute la crise : "Précarité". Il traduit la réalité quotidienne d'une partie croissante de la population française, et notamment des publics les plus exposés et les plus fragiles, les moins qualifiés et les "entrants" dans la vie active (c'est-à-dire les jeunes).

Cette précarité a plusieurs visages : du chômage durable à la misère la plus noire, des petits jobs pour surdiplômés jetables aux stages bidons sans avenir, du racisme le plus affiché à la discrimination la plus discrète. Et le personnage de "Tanguy" qui s'éternise chez ses parents, c'est aussi un symptôme de cette précarité...

D'où l'immense ras-le-bol d'une jeunesse qui n'accepte plus d'être déclassée, méprisée par une société qui semble lui fermer toutes les portes. Et le CPE, à tort ou à raison, a été la goutte d'eau de trop parce qu'il imposait aux jeunes des sacrifices que les titulaires de droits prétendument acquis ne voulaient pas consentir. La nouvelle loi semblait graver dans le marbre la précarité des jeunes sans leur offrir de réelles perspectives d'avenir. Le CPE était presque devenu le symbole d'une volonté d'exclure les jeunes de la possibilité de vivre normalement.

Que l'on me pardonne cette banalité, mais la jeunesse, c'est l'âge des rêves, de l'aventure, des projets fous ! Cette fraîcheur est sans doute l'un des meilleurs ferments du progrès. D'où l'impression d'un immense gâchis. En bouchant tous les horizons, en tuant tous les espoirs, en refusant obstinément de rénover une société asphyxiée par ses lourdeurs, ses verrous et ses blocages, notre société semble sacrifier sa jeunesse. Et une société qui sacrifie sa jeunesse, c'est une société qui vieillit et qui meurt... Comprenons-le : la précarité de la jeunesse, ce n'est pas le problème de la seule jeunesse, c'est le problème de tout-le-monde !...

Les revendications exprimées par les jeunes n'avaient pourtant rien de révolutionnaire : un avenir, un horizon, quelque chose d'à peu près stable à quoi se raccrocher. Vivre autrement qu'au jour le jour, autrement que dans la peur du lendemain !...  

Il faut donc dépasser les lectures extrêmistes de tous bords. Non, les jeunes ne sont pas prêts pour le Grand Soir prôné par les agitateurs révolutionnaires de tous poils qui ont cherché jusqu'au bout à les manipuler. Non, les jeunes ne sont pas non plus des feignants avides d'oisiveté et de gratuité. La plupart d'entre eux veulent pouvoir travailler, construire, entreprendre normalement, comme tout-le-monde... En un mot, vivre !

Et pour permettre cela, il n'y a qu'une seule réponse : la croissance, c'est-à-dire la création de richesses. Création de richesses freinée aujourd'hui par une société immobilisée par la gestion devenue impossible des rentes de situation distribuées au fil du temps par les différents pouvoirs successifs. D'où l'exigence de rupture d'un modèle économique et social dépassé.

2°) L'exigence de rupture avec un modèle économique et social dépassé

Absence de croissance forte !... Voilà le vrai problème !

Un Etat qui dépense chaque année pour son fonctionnement plus que ce qu'il perçoit et qui emprunte donc chaque année de quoi payer son déficit ; donc, un Etat devenu surendetté et qui, en dehors de l'hypothèse d'une croissance forte, devra alourdir encore plus les impôts de ses contribuables (ceux de demain, c'est-à-dire les jeunes d'aujourd'hui : tiens, encore eux !) pour rembourser ses dettes, principal et intérêts... Une spirale suicidaire ! Des circuits de protection sociale à la trésorerie exsangue. Et, en outre, un chômage persistant, une précarité rampante, un moral au plus bas. Le déclin d'une identité nationale forte face à l'émergence de nouveaux géants économiques (BRIC = Brésil, Russie, Inde, Chine) à côté de l'hyperpuissance américaine.

Et pourtant, nous avons tout ! Une volonté de travailler, un savoir-faire extraordinaire, une finesse d'esprit hors pair, une culture d'une richesse impressionnante. Quel dommage que cet océan de richesses soit inexpiablement gâché. A un point tel que nos meilleurs chercheurs, nos entrepreneurs les plus habiles s'en vont, émigrent dans des pays où ils sont mieux reconnus. Avons-nous les moyens de nous priver de nos meilleurs talents ?

La rupture est donc une exigence impérative et globale. Impérative parce qu'on ne peut plus attendre. Tous les pays occidentaux, qui ont connu les mêmes problèmes que nous, ont depuis longtemps entamé un train de réformes radicales, à l'exception notable de la France. Globale, parce ce sont les fondations-même de notre système qui doivent être revues... et sans verrous ! On voit bien là qu'avec la rustine "CPE", on était loin du compte... 

Une chose est certaine : la précarité est le produit de notre système. Lutter contre la précarité, c'est se battre pour une croissance forte, et donc éliminer un à un tous les freins que notre système oppose à l'éclosion de cette croissance forte. 

Citons, à titre d'exemple, quelques thèmes de réflexion :

- L'obsession du concept de justice redistributive qui habitue les uns à vivre durablement d'allocations sans travailler alors que les autres sont découragés de travailler parce que privés des justes revenus de leur travail via notamment l'impôt progressif. D'où une double-incitation absurde à ne pas travailler ou à travailler moins. Sans compter le développement exponentiel de cette précarité prouvant que l'immense machine à redistribuer passe complètement à côté des plus pauvres. 

- L'idée saugrenue mais pourtant répandue que la consommation serait un ressort de la croissance. La presse nous parle sans arrêt de cette vieille lune keynésienne baptisée "relance de la consommation" ou "relance du pouvoir d'achat" pour "relancer la croissance" avant de s'étonner régulièrement de l'échec de ce type de politique. Et si une hausse de la consommation ne devait être qu'une conséquence et non la cause de la croissance ? Et si les préceptes keynésiens étaient faux ? (ce qu'ont compris depuis longtemps nombre d'économistes comme, par exemple, Milton Friedman, Prix Nobel d'Economie 1976 et bien d'autres). Il n'y a plus guère qu'en France que Keynes reste la référence officielle en matière de politique économique...

- Autre idée reçue : l'idée que la société libérale serait une sorte de jungle darwinienne où les plus forts élimineraient sans vergogne les plus faibles. Une version moderne de cette méchante fable (sur fond de la sempiternelle et fameuse "lutte des classes") serait que l'application des idées libérales aboutirait à rogner sans cesse les droits des salariés, des jeunes, etc. La précarité que tout-le-monde constate est ainsi présentée comme le fruit naturel d'un libéralisme débridé, cruel, brutal, inhumain, bref une horreur épouvantable. C'était la thèse défendue par le philosophe Michel Onfray la semaine dernière dans le Parisien. Le philosophe ne faisait qu'exprimer une pensée largement partagée dans les milieux "politiquement corrects". Et pourtant, on ne peut pas vraiment dire que la France soit sous régime libéral. Rappelons simplement que 60% du PIB y est consacré à de la dépense publique, ce qui n'est pas très libéral. Et les pays qui ont engagé les réformes libérales s'en sortent plutôt mieux que nous pour créer de la croissance, résorber le chômage et vaincre la précarité et la misère.

On pourrait encore citer maints exemples de thèmes de réflexion sur la Fonction Publique, le rôle des syndicats, l'Ecole, etc. Nous y reviendrons.

Dernier point : La rupture, c'est aussi rompre avec l'idée que le pays serait irréformable, que les réformes ne passent que si les gouvernants les dissimulent habilement dans un emballage séduisant baptisé "Europe" ou "plus tard"... C'est l'excuse constamment invoquée par les immobilistes de tous bords. Sauf que si la démocratie fonctionnait mieux, peut-être y aurait-il un débat fécond sur les réformes.

3°) L'exigence de respiration du débat démocratique

On le sait maintenant : un Gouvernement et même une Majorité, quelle qu'elle soit, ne peut pas se contenter d'une légitimité exclusivement juridique pour faire passer ses réformes. Il doit y avoir consultation préalable, large débat et suffrage populaire. C'est la seule façon d'y parvenir.

C'était d'ailleurs la philosophie du Général de Gaulle qui avait toujours recherché la confiance du Peuple pour toutes les réformes importantes. Et le fondateur de la Vème République considérait que si cette confiance devait venir à lui manquer, il n'aurait plus les moyens de gouverner et donc il s'en irait. Ce qu'il fit en 1969 après la victoire du "non" lors du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Et dans son esprit, il en eût été de même en cas de défaite de sa majorité à une élection législative, et a fortiori après une dissolution. "Pas de dyarchie au sommet !" tonnait le Général quand on évoquait devant lui l'hypothèse d'une cohabitation. Au-delà de la lettre de la Constitution de la Vème République, il y avait l'esprit que le Général avait su insuffler...

Les temps ont bien changé ! Les différents régimes de cohabitation (2 sous François Mitterrand et 1 sous Jacques Chirac) ont finalement entretenu la confusion (à travers la recherche d'improbables conscensus), alimenté le sentiment de surdité des gouvernants et dopé les extrêmes. Trois modalités de l'extinction du débat démocratique. 2002 fut de ce point-de-vue un sommet jamais égalé. Le score de Jacques Chirac à 82% contre Jean-Marie Le Pen aurait pu être une bonne nouvelle s'il n'avait signifié la confiscation de tout vrai débat démocratique. Celui-ci ne pouvant avoir lieu qu'entre une droite de gouvernement et une gauche de gouvernement. Donc 2002 fut une grande victoire... sans débat ! On connaît la suite : victoire du "non" lors du référendum sur la Constitution européenne en 2005, non pas "non" à l'Europe mais "non" à une classe politique aveugle et sourde représentée par un Président qui s'était beaucoup engagé en faveur du "oui" lors de la campagne. Après un référendum-désaveu, l'Homme du 18 juin quittait le pouvoir le jour-même en 1969, mais son successeur Jacques Chirac dans la même situation en 2005 déclarait tranquillement qu'il n'envisageait pas une seconde de quitter ses fonctions.

C'est sur ces décombres que Dominique de Villepin, très proche de Jacques Chirac, arriva à Matignon. Sans autre légitimité que... la défaite de son Président au référendum. Difficile de gouverner sur d'aussi fragiles fondations ! Et impossible de réformer en profondeur dans ces conditions...

L'évitement du débat démocratique est donc une vieille histoire... suscitée par la mécanique des institutions. Mais il y a sans doute une autre cause à cet évitement : le refus de la Droite française d'assumer clairement le libéralisme comme alternative au socialisme. La Gauche n'a jamais renié le socialisme. La Droite, elle, s'est toujours défendue d'être libérale. Qu'on se rappelle les récents propos de Jacques Chirac sur "le libéralisme, pire que le communisme." La Droite se priva de tout l'apport intellectuel de la pensée libérale pour résister aux sirènes socialistes et social-démocrates. Elle en fut donc réduite à rivaliser, surenchérir, abonder autour des idées de ses adversaires.

Confiscation du débat, surdité des gouvernants, précarité rampante : les 3 ingrédients du cocktail détonnant de la rue sont réunis en 2005 et en 2006. Emeutes des banlieues fin 2005 et émeutes estudiantines et salariées en 2006. Avec la régression inouïe constituée par la violence des extrêmistes, véritables professionnels de l'émeute de rue : assemblées générales bidons, votes à main levée, blocages de toutes sortes, saccages de locaux universitaires et de commerces, destructions de livres anciens et de disques durs renfermant des années de recherche, manipulations, intoxications, etc. Il était plus que temps de mettre fin à ce que le Général de Gaulle aurait appelé "la chienlit".

Conclusion

La prochaine élection présidentielle doit être l'occasion d'un vrai débat démocratique autour de l'idée de rupture sans masques ni faux-semblants. Sans ce débat, les réformes nécessaires seront illégitimes et donc impossibles à mener.

Au fond, la vraie explication de la réticence apparente des Français devant l'idée-même de réforme est sans doute là : depuis 25 ans, on avait juste oublié que le Peuple est souverain et qu'il est indispensable de lui parler franchement pour lui poser les bonnes questions !

 

Olivier CAMPS-VAQUER

Publié dans Politique nationale

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